Interview : Joan Prummel, Conseiller stratégique pour la commande publique circulaire – Ministère des Infrastructures et de la Gestion de l’Eau des Pays-Bas

Suite à son intervention lors de la Commission Europe du 18 juillet 2018 organisée par l’Institut, Joan Prummel, conseiller stratégique pour la commande publique circulaire du Ministère des Infrastructures et de la Gestion de l’Eau des Pays-Bas revient sur la notion de Green Deal et d’achat publique circulaire. Son expertise et son savoir seront aussi mis à contribution dans l’accompagnement de l’Institut pour le cadrage d’un groupe de travail qui sera lancé à la rentrée en partenariat avec la Métropole du Grand Paris et l’ObsAr.

 

1. Quelle force représente le Green Deal pour la commande publique circulaire et l’approvisionnement durable ?

Le principe du Green Deal est relativement simple : il s’agit de réunir des partenaires et diverses parties prenantes autour d’un projet pilote à forte impacte, et de construire une plateforme d’échange de savoirs afin que chacun puisse apprendre des uns et des autres. Ce cercle est la première pierre d’un édifice construit au fil du temps, à mesure que les expérimentations voient le jour, ce qui accélère in fine la transition globale vers l’économie circulaire. S’en suit un mouvement d’accélération généralisée au niveau régional autour de ces projets pilotes, puisque chacun d’eux se transforme à terme en filière pérenne d’approvisionnement durable pour les fournisseurs. Il s’agit donc bien là de la principale force des Green Deal, qui sont aujourd’hui des leviers efficaces.

 

2. Existe-t-il une « formule » spécifique pour faire émerger des Green Deal ? La France peut-elle s’inspirer des bonnes pratiques étrangères ?

Je pense que l’économie circulaire n’est pas contrainte par les frontières et autres démarcations géographiques artificielles. Il s’agit d’un concept global et international. Ainsi, chacun doit pouvoir se nourrir de toute initiative ayant fait ses preuves ou bien des erreurs du passé afin de ne pas les reproduire. Si un acteur souhaite intégrer le mouvement de transformation, il doit donc s’inspirer d’exemples locaux, bien évidemment, mais aussi explorer ce qui se fait à l’international. Nous avons de nombreux exemples intéressants aux Pays-Bas, mais nous ne sommes certainement pas les seuls à être actif sur le sujet. Ainsi, nous étudions de prêts ce qui se fait au Danemark, en Écosse ou même en Espagne et aujourd’hui en France. Donc oui, je pense que la France a tout intérêt à s’inspirer des exemples en Europe et même ailleurs.

Pour ce qui est du Green Deal, la seule clef de réussite tient en deux mots : « Lancez-vous ! ». Chaque projet pilote est différent, mais globalement la recette est simple : réunir des acteurs autour d’un projet commun afin que chacun partage enseignements et connaissances. Ce sont les différences culturelles et les spécificités locales qui vont faire changer la forme du projet, mais le fond reste sensiblement équivalent d’un pilote à l’autre. Le principal moteur d’un Green Deal est la relation de confiance qui existe entre les partenaires. Les contrats peuvent donc prendre toutes les formes et couleurs, il s’agit juste passer le pas et de s’essayer.

 

3. Quel est le rôle des pays membres pour activer la transition au sein de la Commission Européenne ? En multipliant les visions et définitions, les cadres de références et outils méthodologiques, n’existe-t-il pas un risque de brouillage ?

Notre ambition est en partie de construire de plus en plus de Green Deal, afin de multiplier les expérimentations sur tout le territoire européen. Nous pensons que cela accélère de manière efficace la transition vers l’économie circulaire. En outre, cela permet de faire remonter le même type de feed-back et de bonnes pratiques auprès des équipes de la Commission Européenne, ce qui alimente leurs études permettant de calibrer les politiques publiques et facilite notre travail par effet ricochet.

Pour ce qui est des divergences de points de vue et des angles d’attaques, il s’agit là d’une véritable question. Il est vrai que chacun peut avoir sa propre définition et ses propres stratégies afin de répondre à ses propres défis, que chaque écosystème local est différent, tout comme le contexte législatif et règlementaire… Cependant, en bout de ligne, le message sera sensiblement le même lorsqu’il arrivera sur la table des décideurs européens, et se transforme en un écho particulièrement fort dans les administrations. Ainsi, toutes ses initiatives stimulent le mouvement général de transition vers l’économie circulaire et structurent l’environnement d’apprentissage en créant un terreau fertile pour l’essaimage des bonnes pratiques.

 

4. Peut-on parler de vision néerlandaise de l’économie circulaire ? Avez-vous senti une différence avec notre manière de penser l’économie circulaire ?

Non, je n’ai pas senti de différence, mais je sais que nous en parlons de différentes façons. Il y a par exemple certains pays qui orientent l’économie circulaire vers la réduction des émissions de GES, d’autres qui pensent que la circularité doit être purement et simplement orientée vers la matière et sa valorisation tout au long de son cycle de vie. Ce que l’on promeut est plus simple : il s’agit d’aborder la circularité comme un cadre de référence permettant d’atteindre la durabilité de nos sociétés. Au final, nous préférons donc une approche holistique. En même temps, nous stimulons et promouvons l’écosystème afin que les acteurs se concentrent dans un premier sur un projet bien particulier et qu’il se jette à l’eau. L’agrégat de ces initiatives créer les conditions favorables dont nous avons aujourd’hui besoin pour déployer l’économie circulaire partout dans le monde.

Finalement, si chacun utilise une définition différente au sein d’un projet, cela ne veut pas dire qu’il ne verra pas le jour. Car nous souhaitons tous la même chose : mettre en place des synergies et fermer la boucle, afin de maximiser l’usage et la valeur des biens et services tout au long du cycle de vie. Donc chacun à se manière abordera les questions du choix de ses matières premières, du design de ses produits, de la façon de les produire et de les transporter, pour considérer en bout de cycle l’usage final. Cela nécessite bien souvent des formations et une sensibilisation importante pour atteindre une valorisation maximum. On notera que la hiérarchisation des pratiques de fin de vie sont relativement homogène : réutiliser beaucoup, réemployer tout autant, réparer au maximum, et si vraiment rien n’est faisable, recycler. La valorisation énergétique par incinération est vraiment l’ultime étape à envisager. Si cette dynamique se structure correctement, même si un pays n’avait pas pour objectif principal de réduire ses émissions ou de réduire ses déchets, il le fera de toute façon. En bout de ligne, le résultat est sensiblement le même, d’où l’intérêt de massifier les initiatives qui fonctionnent, de multiplier les projets pilotes et de créer un écosystème d’apprentissage robuste et efficace. Les différences alimentent les discussions et débats, ce qui enrichit globalement la communauté.

 

Propos recueillis par Hugo Maurer, le 28 juillet 2018.

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