Sylvie Gustave dit Duflo, Conseillère régionale; présidente de la Commission Environnement de la Collectivité Régionale et présidente du Comité de l’Eau et de la biodiversité a accepté de répondre à nos questions et de nous parler de sa vision de l’économie circulaire.
Sur le potentiel que représente l’économie circulaire pour notre société, en termes économiques, environnementaux et sociaux ?
Le concept d’économie circulaire a officiellement fait son entrée dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TEPCV) du 18 août 2015 avec l’article L110-1-1 du code de l’environnement qui définit l’économie circulaire comme :
– un moyen de valoriser les étapes de traitement des déchets (prévention, réutilisation, recyclage, valorisation) ;
– une opportunité de promouvoir les pratiques et activités écologiquement vertueuses ;
– un engagement gouvernemental fort à s’appuyer sur les richesses humaines et les talents de notre territoire in fine.
La France s’est fixée des objectifs ambitieux pour engager la transition vers une économie circulaire. Dans le but de définir les mesures concrètes qui permettront d’atteindre ces objectifs, une feuille de route économie circulaire a été élaborée en début 2018 après une large opération de concertation. Les actions que préconise la feuille de route concernent tous les publics : citoyens et consommateurs, collectivités locales, entreprises, État.
Les bénéfices de l’économie circulaire peuvent être distingués en deux catégories :
1. les bénéfices environnementaux : économie de matière première utilisée, réductions des importations (émissions de GES), prévention des déchets, consommations durables ;
2. les bénéfices économiques : innovations, création d’emplois et d’activités de proximité, réduction de la dépendance géopolitique, etc.
Aujourd’hui, l’ADEME est un des acteurs-clés de l’économie circulaire et recense des chiffres qui argumentent ces bénéfices :
– en 2015, 49 entreprises ont été accompagnées par l’ADEME à l’échelon national dans des démarches d’économie circulaire et ont économisé en moyenne 60 000 euros par an grâce à des actions simples d’un temps de retour sur investissement moyen de 7 mois ;
– une évaluation des actions relatives à la prévention et à la gestion des déchets de la loi TEPCV indique que celles-ci permettront d’éviter de gaspiller 8,6 millions de tonnes de matières (dont 4,6 millions de tonnes de matières premières industrielles et 4 millions de tonnes de matière organique) et 4 200 GWh d’énergie annuellement en 2025 ;
– 22,5 millions de tonnes équivalent CO2 sont évitées chaque année en France grâce à la mise en place du recyclage et à ce jour 940 000 tonnes de déchets ont été réutilisées ou remployées en 2013 en France.
L’économie circulaire est un formidable tremplin pour renforcer l’attractivité et la résilience territoriale. Sentez-vous un intérêt dans les territoires pour ces questions ?
Je vais me focaliser sur l’archipel de la Guadeloupe, un territoire en devenir en termes d’économie circulaire. De nombreuses initiatives, parfois soutenues par la région, se développent en Guadeloupe. Afin de faire émerger ces initiatives, la Région Guadeloupe en collaboration avec l’ADEME organise chaque année un appel à projets visant à soutenir des initiatives favorisant l’économie circulaire.
L’action de l’ADEME en faveur de l’économie circulaire
En collaboration avec la Région Guadeloupe, l’ADEME a mené une étude portant sur l’opportunité de développement de l’économie circulaire en Guadeloupe.
L’action de la CCI des îles de Guadeloupe en faveur de l’économie circulaire
Soutenue par la Région Guadeloupe, la CCI des îles de Guadeloupe s’est engagée en faveur de l’économie circulaire. Une chargée de mission sensibilise et accompagne les chefs d’entreprise. Des opérations de sensibilisation sont d’ores et déjà menées. On peut notamment citer les « Rencontres pro du Développement Durable », événement organisé en partenariat avec la Région Guadeloupe, l’ADEME, Cap Excellence et Synergîle. Ce forum constitue un espace d’échanges et de découvertes de solutions liées à la gestion des déchets des entreprises (également sur les thématiques de mobilité améliorée et de réduction des dépenses énergétiques). Le but étant de promouvoir les solutions de gestion des déchets des entreprises et les filières existantes sur le territoire (distribution du nouveau guide des déchets de la CCI), et plus généralement de favoriser les échanges de bonnes pratiques et montrer l’engagement des entreprises aux concepts de développement durable.
L’action de la DEAL Guadeloupe en faveur de l’économie circulaire
La DEAL Guadeloupe œuvre depuis plusieurs années pour le développement de l’économie circulaire. La DEAL a entamé un travail d’inventaire des acteurs et actions de l’économie circulaire sur le territoire guadeloupéen. En collaboration avec le ministère de la Transition écologique et solidaire, la DEAL a également initié une démarche d’Écologie Industrielle Territoriale (EIT) qui correspond à un nouveau mode de développement économique, écologique et social invitant les acteurs économiques et institutionnels du territoire à une transformation de leur organisation et notamment sur le flux de matières et d’énergie dans le but de réduire les impacts environnementaux et d’économiser les ressources ou d’en améliorer la productivité via par exemple le partage d’infrastructures, d’équipements, de services ou encore de matières.
L’action du Grand Port Maritime de Guadeloupe (GPMG) des îles de Guadeloupe en faveur de l’économie circulaire
Le GPMG a lancé en 2017 une étude d’écologie industrielle et territoriale (EIT) sur son domaine portuaire, en particulier sur le site de Jarry à Baie-Mahault. L’étude a pour objectif d’identifier les synergies existantes et les initiatives envisageables entre les opérateurs économiques situés sur son territoire afin d’optimiser la circulation et les besoins en énergie et les ressources naturelles par l’échange et la mutualisation.
L’action du Département de la Guadeloupe en faveur de l’économie circulaire
En collaboration avec la Région Guadeloupe, le Conseil départemental de Guadeloupe, a initié en 2017 l’élaboration de son Plan d’actions de lutte contre le gaspillage alimentaire. La première phase de l’étude a consisté en un diagnostic avec une quantification de l’ampleur du gaspillage alimentaire en Guadeloupe, l’identification des acteurs et le recensement des pratiques en place. La seconde phase correspondant à la réalisation du Plan d’actions est en cours de finalisation. Celui-ci devrait aboutir au lancement d’appels à projets permettant de mobiliser les acteurs concernés pour la réduction du gaspillage alimentaire sur le territoire (les gestionnaires de restauration collective, la Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DAAF) de Guadeloupe, la Direction de la Jeunesse des Sports et de la Cohésion Sociale (DJSCS), les associations ou encore les grandes et moyennes surfaces).
L’action des entreprises et structures associatives
De nombreuses initiatives en faveur de l’économie circulaire existent en Guadeloupe. A titre d’exemple, il existe en Guadeloupe deux « ressourceries – recycleries », l’une aux Abymes, l’autre à Marie-Galante. Les communautés d’agglomération et les communes se mobilisent et lancent des initiatives comme :
• des ateliers sur le thème « Je cuisine en réduisant mes déchets » ;
• des journées portes-ouvertes dans les déchèteries ;
• des opérations « caddie éco » dans les supermarchés ;
• des ateliers de compostage ;
• des journées d’information sur les filières de gestion des déchets et des métiers du secteur ;
• des zones de gratuité et de solidarité pour collecter des vêtements, des jouets et des livres ;
• des ateliers de recyclage et de compostage en milieu éducatif et de réemploi notamment sur le marché aux puces de Morne-à-L’eau ;
• des ateliers de couture pour la customisation d’anciens vêtements, pour la réparation d’anciens meubles et de fabrication d’outils à partir de palettes de bois.
Pour accompagner cette démarche volontaire d’économie circulaire, huit déchèteries « nouvelle version » seront prochainement construites par le conseil régional et pour le compte des agglomérations de la Basse-Terre, et recueilleront nos déchets pour les recycler.
L’exercice de la démocratie est avant tout une aventure citoyenne. Comment la mobilisation des français(es) peut-elle accélérer le virage vers l’économie circulaire ?
La mobilisation française doit être totale et s’appuyer sur les 7 piliers de l’économie circulaire. Appropriation de ces piliers par les citoyens et les industriels français doit être le maître-mot de nos actions du quotidien, et doit constituer un fil d’Ariane pour l’évolution de notre comportement d’éco-citoyen du monde.
Au-delà des mots et engagements, comment les élus peuvent-ils devenir les moteurs de la transition ?
Comme montré précédemment, diverses collectivités locales ont démarré des actions dans le cadre de l’économie circulaire. Cela montre bien qu’il y a une mobilisation générale des élus sur cette question. En ce qui concerne la Région Guadeloupe, elle élabore actuellement, et en concertation avec les collectivités et entreprises son plan régional d’actions en faveur de l’économie circulaire. La Région Guadeloupe s’est fixée sept objectifs pour la réalisation de son plan régional en faveur de l’économie circulaire, à savoir :
1. la réalisation d’une étude benchmark permettant de faire un tour d’horizon des stratégies territoriales et actions locales pertinentes et reproductibles en matière d’économie circulaire déployées sur d’autres territoires ;
2. la réalisation d’un état des lieux permettant d’identifier des actions d’économie circulaire exemplaires déployées sur le territoire guadeloupéen ;
3. l’identification des secteurs d’activité porteurs en Guadeloupe en fonction de la pertinence et des spécificités du territoire ;
4. la proposition et l’inscription dans le plan régional de prévention et de gestion des déchets de quelques actions d’économie circulaire impliquant des acteurs de la vie économique régionale identifiés ou des secteurs d’activités jugés comme prioritaires ;
5. la proposition et l’inscription dans le plan régional de prévention et de gestion des déchets des actions visant à faire émerger une véritable dynamique et un engouement autour de l’économie circulaire (recherche et développement, études, outils, partenariats, services, formation, sensibilisation, appels à projets…). Ainsi que l’identification des structures et des partenaires susceptibles de les mettre en oeuvre ;
6. la hiérarchisation des actions selon l’importance des enjeux concernés, selon leur impact, la facilité de mise en oeuvre et leur potentiel sur l’économie de ressources et la prévention des déchets ; dans le but d’articuler ces actions dans un calendrier prévisionnel, illustrant la mise en oeuvre prévisionnelle de ces actions dans le temps ;
7. la définition d’indicateurs de suivi du plan d’action régional en faveur de l’économie circulaire.
Ce projet de loi sur l’économie circulaire s’accommode t-il bien avec le contexte spécifique de celui des territoires ultramarins ?
Aujourd’hui, le projet de loi est plus précis et c’est une avancée notable et significative pour les territoires ultramarins. Il permettra d’améliorer les conditions de réemploi, de réparation de nos produits de consommation et de favoriser la prévention et la valorisation de nos déchets. La région Guadeloupe souligne des avancées notables en faveur de l’économie circulaire, comme l’article 10 du projet de loi qui précise que les éco-organismes devront majorer leur barême de prise en charge des coûts du service public de gestion des déchets. « la prise en charge des coûts supportés par le service public de gestion des déchets est définie par un barème national. Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, ce barème est majoré afin de prendre en compte l’éloignement, l’insularité et la maturité des dispositifs de collecte et de traitement des déchets de ces territoires. ». Dans ce cadre, et au regard de ses compétences en matière de planification dans le domaine des déchets, la région Guadeloupe souhaite participer à la définition de ces barèmes. La région Guadeloupe soutient le projet de loi tel que présenté. Néanmoins dans le contexte insulaire d’extrême vulnérabilité de nos îles, la montée en puissance des questions de changements climatiques globaux et leurs impacts sur notre biodiversité, sur notre relief géographique (trait de côte), sur les évènements climatiques d’une rare violence qui peuvent se déchaîner (ouragans, inondations, coulées de boue,…), sur des phénomènes nouveaux mais qui s’inscrivent dans la durée (invasion des algues sargasses, la présence inquiétante de nanoplastiques dans nos océans) pousse le territoires ultramarins à aller encore plus loin avec ce projet de loi d’économie circulaire.
La région Guadeloupe souhaiterait que les points suivants puissent figurer dans ce projet de loi.
-Pour la consigne : Article 12 du projet de loi. L’alinéa suivant soit supprimé afin que la consigne puisse être mise en œuvre de manière similaire en Guadeloupe et dans l’hexagone : « II. – Les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution peuvent appliquer les dispositions du présent article après décision prise sur délibération commune de la collectivité chargée de la planification de la prévention et de la gestion des déchets prévue à l’article L. 541-13 d’une part, et de l’ensemble des collectivités concernées qui exercent la compétence de collecte et de traitement des déchets des ménages prévues à l’article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales d’autre part. »
En effet, la consigne est particulièrement adaptée aux économies insulaires et ne doit pas faire l’objet d’éventuelles restrictions ou d’obstacles administratifs retardant sa mise en œuvre.
-Pour l’interdiction des plastiques à usage unique. La région Guadeloupe souhaite que les principes de la loi EGAlim s’appliquent au plus tard en 2020 en Guadeloupe. Ainsi, seront interdits les objets en plastique suivant : les coton-tiges, les gobelets, verres et assiettes jetables de cuisine, les pailles, les couverts, les piques à steak, les couvercles à verre jetables, les plateaux-repas, les pots à glace, les saladiers, les boîtes et les touillettes. Cette disposition permettrait d’anticiper les objectifs Européens d’une année.
-Pour la responsabilité élargie du producteur : La région Guadeloupe souhaite que les régions des Outre-Mer puissent être représentées au sein de la commission nationale des filières REP (commission qui donne son avis sur les agréments des éco-organismes et les textes réglementaires qui régissent les REP),
Elle souhaite également que les éco-organismes puissent :
– définir des objectifs de performance quantifiés à l’échelle de la région. Il s’agit d’une part d’être cohérent avec les objectifs du projet de plan régional de prévention et de gestion des déchets qui fixe des performances de collecte et valorisation à 6 et 12 ans, et de tenir compte de la situation insulaire et éloignée de l’hexagone de la Guadeloupe. Cette disposition permettrait à la Guadeloupe d’atteindre les performances nationales et Européennes de valorisation des déchets.
-prendre en considération la situation archipélagique du territoire en favorisant le réemploi et la valorisation des déchets à Marie-Galante, à Désirade, à Terre de Haut et Terre de Bas. Dans ce cadre, la valorisation de tout type de déchets sur place (comme le verre sous forme de sable) doit être financièrement pris en charge par les éco-organismes. Un article de loi visant spécifiquement ces conditions est nécessaire.
-S’agissant de la fiscalité, la région Guadeloupe souhaite qu’un cadre fiscal puisse favoriser les activités de réparation, de réemploi et d’écologie industrielle. Ainsi, la région Guadeloupe souhaite limiter la fiscalité sur la réparation, notamment automobile, impliquant l’usage de pièces détachées d’occasion. Ainsi, la région Guadeloupe demande d’instaurer une TVA réduite à 2,5% (contre 8,5% actuellement) sur les activités de réparation, de réemploi et de recyclage locaux,
– instaurer une TVA réduite à 2,5% (contre 8,5% actuellement) sur les activités de l’écologie industrielle territoriale (échanges commerciaux non taxés),
– publier annuellement, dans le cadre des activités de l’observatoire des prix, des marges et des revenus, les prix moyens de commercialisation des pièces détachées ou de réparation dans les domaines de l’automobile, la téléphonie, les équipements électriques et électroniques.
-S’agissant du tri des déchets en entreprises, les travaux pour l’élaboration du plan régional de prévention et de gestion des déchets ont démontré que le décret dit « 5 flux » (tri des déchets en entreprise) n’était pas appliqué en Guadeloupe et les contrôles de la part de l’Etat inexistants. La région Guadeloupe souhaite que l’Etat puisse procéder à des contrôles réguliers des entreprises, et puisse en faire état, une fois l’an, lors des réunions des commissions consultatives d’élaboration et de suivi du plan, régional de prévention et de gestion des déchets.
-S’agissant des dépôts sauvages, la collectivité régionale souligne que le caractère insulaire des outre-mer, ainsi que la richesse de sa biodiversité implique que les mesures de lutte contre les dépôts sauvages soient accentuées.