Les énergies renouvelables à l’heure de l’économie circulaire

Eco-conception, recyclage, valorisation de composants… énergies renouvelables et économie circulaire sont intimement liées dans un monde où l’accélération de la construction de parcs d’énergies renouvelables pose la question de leur durabilité. Comment produire des énergies vertes toujours plus durables en anticipant le démantèlement dès le début du cycle de vie des installations de production ? Vianney de Lavernée, Responsable Stratégie, RSE & Innovation chez ENGIE France Renouvelables et Amélie Vaz, Responsable des études et de la prospective de l’Institut National de l’Economie Circulaire partagent savoirs et expériences sur le sujet.

 

 

 

Amélie Vaz, pouvez-vous nous présenter l’INEC et ses champs d’action ?

 

 

L’INEC est une association loi 1901 qui existe depuis 2013. Elle a été fondée par le député des Bouches-du-Rhône, François-Michel Lambert et œuvre à la promotion de l’économie circulaire grâce à un réseau de 150 membres dont 60 % d’entreprises de différentes envergures, 30 % de collectivités territoriales et 10 % d’associations, d’universités et d’écoles. En 2013, le sujet était encore peu connu. Aujourd’hui, c’est différent. Une loi structurante a été votée en 2020. Il est désormais nécessaire de la concrétiser et de passer à plus grande échelle. Dans les faits, nous réalisons des études, des plaidoyers – sur le plan national et européen – et de l’accompagnement d’entreprises et de territoires membres au cœur de leur transition dans l’économie circulaire.

 

 

 

Vianney de Lavernée, quelles sont les principales activités d’ENGIE France Renouvelables ?

 

 

ENGIE France Renouvelables rassemble les activités d’ENGIE dans les différentes filières de production d’énergies renouvelables du Groupe.

 

Aujourd’hui, nous sommes les premiers développeurs d’énergies renouvelables en France avec 8 gigawatts (GW) de capacités installées en hydraulique, solaire et éolien. Les énergies renouvelables (EnR) sont devenues, avec les infrastructures, l’un des deux axes stratégiques de croissance du Groupe. ENGIE en France est une vitrine de ce que nous réalisons dans le reste du monde. Nous avons pour ambition, au niveau mondial, de passer de 33 GW installés à 80 GW d’ici 2030. En cohérence avec notre raison d’être qui est d’agir pour accélérer la transition vers une économie neutre en carbone, les renouvelables sont des axes de développement essentiels.

 

Par ailleurs, ENGIE est engagé, depuis de nombreuses années, dans une décarbonation de ses moyens de production et, plus récemment, dans un objectif de neutralité carbone, soit de zéro impact net du Groupe. Cet objectif porte en lui-même un enjeu de cohérence. L’idée est de se l’appliquer à soi-même, au travers de la réduction progressive de toutes les sources d’émission, à l’horizon de 2045.  Sur le reliquat qui restera, on pourra, in fine, agir via la compensation.

 

 

Vianney de Lavernée, aujourd’hui, comment ENGIE associe concrètement durabilité de ses actifs renouvelables et économie circulaire ?

 

 

Par définition, les EnR ne consomment pas de matières fossiles pour produire de l’électricité. Pour autant, pour fabriquer une éolienne ou un panneau solaire, plusieurs types de matériaux, y compris des métaux critiques, sont nécessaires. C’est une réalité qui  rend le sujet politique, et parfois polémique.

 

ENGIE a pris de l’avance et, depuis 2017, est membre actif de Soren , l’éco-organisme français de collecte et de recyclage des panneaux photovoltaïques en France. Concernant l’éolien, nous avions contracté en 2017, avec Suez, un partenariat visant à mieux anticiper le recyclage des différents composants des éoliennes en fin de vie, en travaillant notamment sur l’organisation de la filière et l’identification des technologies les plus récentes.

 

Nous travaillons aujourd‘hui sur l’éco-conception des pales d’éoliennes au travers du projet ZEBRA, initié il y a trois ans. Nous avons donc eu à cœur de nous engager, il y a un certain temps déjà, sur les différents aspects qui permettent de faire entrer aujourd’hui les énergies renouvelables dans la boucle vertueuse de l’économie circulaire ; même si la route reste longue !

 

 

Amélie Vaz, comment accompagnez-vous les contraintes spécifiques des EnR dans l’économie circulaire ?

 

 

Nous nous sommes intéressés à la stratégie nationale bas carbone de la France et à ses déclinaisons PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) via le prisme de l’économie circulaire, sous la contrainte de la ressource. C’est un point de vigilance essentiel que de porter une attention particulière aux ressources nécessaires à la construction des équipements et aux infrastructures pour atteindre la neutralité carbone en 2050. En 2021, l’Agence Internationale de l’Energie a publié un rapport sur les ressources critiques dans la transition vers les énergies vertes. À partir de ce rapport, nous avons analysé les besoins en ressources pour 3 secteurs (électrification, construction et valorisation des biomasses), en intégrant– ou pas – dans deux scénarios les piliers de l’économie circulaire comme l’éco-conception, le recyclage ou la réduction d’utilisation de matières à la source. La SNBC sous contrainte de ressources est un sujet d’ampleur intéresse les parties prenantes de l’INEC. Nous travaillons avec des énergéticiens, des industriels du BTP ou encore des territoires.

 

 

Vianney de Lavernée, outre les enjeux environnementaux, quels aspects de la notion d’économie circulaire influent sur vos activités ?

 

 

Actuellement, nous travaillons spécifiquement sur la ressource, même si elle ne faisait pas partie de notre prisme initial qui est de produire de l’énergie verte. Nous arrivons à un moment de prise de conscience de ces enjeux, d’autant plus importants qu’ils sont particulièrement variés. Initialement, la raison de notre engagement était essentiellement environnementale.

 

Aujourd’hui, on mesure à quel point l’économie circulaire, dans toutes ses dimensions, est un concept qui vient apporter des pistes de réponse à des enjeux non seulement environnementaux, mais aussi économiques, logistiques et éthiques. Cela nous incite à approfondir notre réflexion. Il ne s’agit pas de travailler seulement sur le recyclage. Il s’agit aussi de fabriquer, en amont, des objets qui durent le plus longtemps possible, qui soient réutilisables et, in fine, qui soient simples à recycler.

 

Dans le cadre des appels d’offres, notamment, il nous faut encourager la possibilité de réutiliser des composants d’éoliennes remis en état, des panneaux photovoltaïques qui auraient déjà servi. Les choses bougent :  Soren a initié la création des premières lignes de réemplois pour donner, si possible, une seconde vie à des panneaux démantelés. Un peu comme pour l’énergie, nous partons du principe que le meilleur déchet, c’est celui que l’on ne produit pas ! C’est aussi, au vu des augmentations fortes des prix des matériaux, un enjeu de souveraineté économique.

 

Une condition de succès, pour l’économie circulaire, c’est de considérer des mailles géographiques pertinentes selon les activités. Sur le solaire, par exemple, nous sommes assez franco-français dans la gestion de la fin de vie des panneaux, avec des unités de traitement en France, alors que l’éolien qui a des composants plus complexes, est traité en coopération avec plusieurs pays européens comme l’Espagne, la Belgique ou, entre autres, l’Allemagne.

 

 

Amélie Vaz, concernant l’éco-conception et l’économie circulaire, la France est-elle en progression par rapport aux autres pays européens ?

 

 

L’année dernière, nous avons publié une étude tournée vers l’industrie circulaire, pour laquelle nous avons interrogé nombre d’industriels. Aujourd’hui, en France, 80% des entreprises considèrent l’économie circulaire comme une opportunité, mais, seulement, 30% d’entre elles l’appliquent en réalisant une analyse de cycle de vie sur leurs différents process, produits et emballages. C’est donc finalement assez peu mis en application aujourd’hui, même si l’intérêt grandit. L’analyse du cycle de vie est un élément phare pour éco-concevoir son produit ou son service. Il permet de l’intégrer dès la conception, mais aussi d’anticiper toutes les phases de réemploi du produit et de ses composants. Le Plan d’action pour l’économie circulaire de la Commission Européenne qui a été publié en mai 2020 comporte trois grands enjeux dont le soutien à l’éco-conception et aux innovations qui vont dans le même sens. Si d’autres pays européens nous sollicitent sur le sujet de l’économie circulaire notamment, c’est parce que nous sommes perçus comme pionniers. La loi économie circulaire, dite loi AGEC, adoptée en février 2020, est large et ambitieuse. L’Espagne aimerait s’en inspirer. A l’échelle européenne, en matière d’économie circulaire, nous nous classons plutôt parmi les bons élèves !

 

 

Vianney de Lavernée, à quel stade en êtes-vous de la réflexion globale sur l’économie circulaire chez ENGIE France Renouvelables ?

 

 

L’Etat nous fixe des obligations que nous sommes capables d’atteindre. La filière photovoltaïque gère bien son recyclage. Du côté de l’éolien, on voit augmenter le niveau d’exigence de recyclabilité voulu avec un enjeu fort sur les pales qui restent l’élément le plus compliqué à recycler. Les pales d’éoliennes de Port-La-Nouvelle, premier parc éolien installé en France, démantelé il y a deux ans, ont été recyclées à plus de 50%, là où l’ensemble d’une éolienne est recyclé à 96%. En revanche, les fibres récupérées n’étaient pas d’une qualité suffisante pour réintégrer le marché. Ce fut donc une prouesse technique, en matière de recyclage, mais qui ne rentrait pas dans la logique de l’économie circulaire ; d’où notre implication depuis 3 ans dans le projet ZEBRA, pour des pales éco-conçues, 100% recyclables et zéro déchet.

 

Notre réflexion, au sein de la filière, ne s’arrête pas au recyclage. Il faut aller un cran plus loin. La question à se poser, collectivement, est : les conditions technologiques et d’organisation du marché peuvent-elles, actuellement, nous permettre de générer des matières utiles pour d’autres industries ?

 

Les filières industrielles intervenant dans la production d’une éolienne étant essentiellement mondiales, nous souhaitons porter ces questionnements hors de nos frontières, à un niveau au moins européen pour atteindre des taux de recyclage toujours plus élevés (au-dessus de 90%), mais aussi avec une plus grande qualité des matériaux récupérés, rendant de plus en plus pérennes les efforts menés en faveur de la fin de vie des installations.

 

 

Vianney de Lavernée, quels sont les freins qui entravent aujourd’hui la bonne marche de ce déploiement ?

 

 

Nous avons la chance de ne pas connaître d’obstacles technologiques majeurs. On sait recycler un panneau solaire, un mât et une fondation d’éolienne. On travaille au recyclage des pales qui représentent un peu moins de 5% de la masse de la structure totale d’une installation. L’enjeu n’est donc pas technologique. Il se situe plutôt au niveau de la structuration et de l’intégration de la filière industrielle avec des champs de compétence qui ne sont pas forcément habitués à échanger. Voilà notre grand défi. Les filières REP (Responsabilité Elargie du Producteur) sont là pour apporter des réponses. Toutefois, ce n’est pas le seul levier. Les industriels doivent faire émerger ces filières en leur donnant de la visibilité.

 

Le plus grand obstacle est de trouver les compétences d’intégration des différents intervenants industriels sur la chaine de collecte et de traitement des produits à recycler. C’est souvent là qu’apparaissent les obstacles économiques. La façon dont on va mettre une éolienne au sol est déterminée par la façon dont on va gérer le dernier kilo du dernier composant traité. Par exemple, avec Suez nous avons testé plusieurs entreprises de recyclage de pales. Chacune d’entre elles nous demande de lui fournir les pales coupées ou conservées différemment. Il y a un vrai enjeu de ligne industrielle et de vision d’ensemble. Où vont aller chacun des composants ? Dans quelles conditions doivent-ils être démantelés et stockés pour que leur fin de vie soit correctement gérée ? C’est sur le parc, avant que le camion ne le quitte qu’il faut s’être posé la question du dernier composant chez le dernier sous-traitant.

 

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