L’économie circulaire vue par Pascal Durand

L’économie circulaire vue par Pascal Durand, député européen et auteur du rapport du Parlement européen intitulé « Une durée de vie plus longue des produits : avantages pour les consommateurs et les entreprises ».

Sur le potentiel que représente l’économie circulaire pour notre société, en termes économiques, environnementaux et sociaux ?

Depuis la révolution industrielle, les sociétés développées ont acquis un niveau de confort difficilement imaginable il y a 50 ans. Cette course à la consommation et production s’est construite sur un format linéaire où la ressource finie est puisée avant d’être consommée, puis jetée. À cela s’est ajouté le signal prix qui a entraîné une délocalisation accrue des sites de production et une augmentation considérable des pollutions. Celles-ci sont ainsi présentes tout au long du cycle, extraction, production et transport, mais aussi lors de la fin de vie. Ce dernier choix représente un gâchis énorme. Par exemple, la moyenne du recyclage des déchets en Europe est d’à peine 55%. Ce chiffre tombe à 40% sur les emballages plastiques et les déchets électroniques. Seuls 12% des matériaux bruts proviennent de produits recyclés ou réutilisés. Les marges de progression sont énormes et il est urgent de stimuler le marché des matières premières secondaires. Je suis convaincu que les matériaux de demain seront ceux que l’on n’épuise pas.

En règle générale, lors de la production, les ressources sont utilisées de manière totalement inefficiente. Cela se traduit d’ailleurs par des coûts d’opportunité commerciaux et une importante surproduction de déchets. Si l’on adopte une approche durable de notre modèle de production, le potentiel en création d’emplois est très important. La Commission européenne estimait l’année dernière que 600 milliards d’euro pouvaient être économisés en Europe en adaptant les processus de production et de gestion des flux de matières. C’est 8% du revenu annuel des entreprises de l’Union Européenne !

A contrario, une économie circulaire est par nature restauratrice et régénérative. Elle permet de préserver la valeur et la qualité intrinsèques des produits, des composants et des matériaux, à chaque étape de leur utilisation. Cela permet de minimiser les risques sur les écosystèmes. Une économie circulaire alimentée grâce aux énergies renouvelables est inévitable si l’Europe veut avoir une chance d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Cela doit aller de pair avec un approvisionnement durable auprès de ses partenaires économiques.

 

L’économie circulaire est un formidable tremplin pour renforcer l’attractivité et la résilience territoriale. Sentez-vous un intérêt dans les territoires pour ces questions ?

Même si l’ampleur du changement est parfois difficile à appréhender, les élus nationaux et locaux sont conscients du problème et les parties prenantes s’en sont saisies depuis longtemps. De plus en plus de maires et d’élus locaux prennent conscience des pertes économiques et des effets dommageables pour l’environnement, surtout quand des déchets recyclables finissent dans des décharges ou sont incinérés. Ils ont également pris conscience que l’économie circulaire est créatrice d’emplois non délocalisables et donc socialement importante. S’il y a encore trop de disparités entre les États Membres et les régions, il ne faut pas minimiser les difficultés réelles auxquelles font face les acteurs publics locaux. Dans certaines régions européennes, le taux de recyclage atteint 80% et est inférieur à 5 % dans d’autres. Cela s’explique souvent par des capacités administratives limitées et un manque d’investissement dans les infrastructures séparées de collecte et de recyclage. Il y a aussi un recours insuffisant aux instruments économiques (taxes de mise en décharge ou systèmes de tarification en fonction du volume de déchets jetés, par exemple). Il y a parfois aussi une surproduction qui engorge les capacités de recyclage existantes. L’Union Européenne peut et doit jouer un rôle fondamental pour accompagner le processus sur un plan règlementaire. Néanmoins, la volonté d’aller plus loin pour fournir l’investissement nécessaire qui assurera un recyclage de qualité doit venir d’abord des États et des niveaux de pouvoirs infra nationaux.

 

L’exercice de la démocratie est avant tout une aventure citoyenne. Comment la mobilisation des français(es) peut-elle accélérer le virage vers l’économie circulaire ?

L’Union a amorcé dès 2014 un plan sur l’économie circulaire plutôt ambitieux. Mais nous partons de très loin et les résistances au changement sont nombreuses chez les acteurs économiques, mais aussi politiques. Les citoyens français semblent à l’inverse être demandeurs d’un changement rapide et il ne faut pas minimiser les choix que peuvent opérer les millions de consommateurs pour stimuler ou freiner l’économie circulaire. Pour s’ancrer dans cette dynamique vertueuse, il faut pouvoir fournir au consommateur une information claire et de confiance, qui permet de différencier les produits. Il faudrait par exemple accélérer et élargir un affichage obligatoire qui spécifie si un produit est réparable ou pas et aider les associations et entreprises qui valorisent les produits réparés. La feuille de route pour l’économie circulaire (FREC) lancée par Emmanuel Macron et Brune Poirson en 2018 est un premier pas, mais pour la mener à bien, il est nécessaire que les fabricants français et internationaux rejoignent cette dynamique.

On voit également en France se développer des lieux dédiés à l’apprentissage de la réparation qui sont gérés par des bénévoles. Ces « Repair Cafés » ou autres ateliers bénévoles doivent être d’avantage soutenus car, au-delà de l’aspect matériel, ils permettent de créer du lien social autour d’un projet écologique qui fait évoluer les mentalités tout en baissant substantiellement le coût des produits.

 

Au-delà des mots et engagements, comment les élus peuvent-ils devenir les moteurs de la transition ?

Les réponses politiques pour avancer progressivement vers une économie pleinement circulaire sont nombreuses et sont au cœur des préoccupations des Européens. Selon l’eurobaromètre européen, 92 % des citoyens de l’UE souhaitent que l’information sur la durée de vie des produits soit affichée de manière visible sur les produits. Je vois trois grands axes pour répondre à cette attente :

Premièrement, il faut améliorer la conception des produits. Cela nécessite de motiver les sociétés à mieux produire, si besoin en légiférant en ce sens au niveau européen. La résolution européenne que j’ai initiée en 2017 – votée au Parlement européen quasiment à l’unanimité – sur une durée de vie plus longue des produits contient un certain nombre de mesures qui vont dans ce sens.

Deuxièmement, il faut améliorer la réparabilité des produits, en valorisant les entreprises qui en font l’un des critères de leur activité, et aider le développement des filières de la réparation, tant professionnel qu’associatif. Les élus peuvent agir en adaptant la fiscalité pour ce type d’activité ou en mettant en place de manière renforcée le principe du pollueur-payeur. Ils peuvent aussi donner un vrai prix au transport pour permettre une relocalisation de la production. Ils peuvent enfin sanctionner les acteurs qui intentionnellement ne permettraient pas de réparer un produit ou limiteraient sa durée de vie. Aujourd’hui, l’obsolescence programmée des produits reste encore trop souvent la règle.

Troisièmement, il faut inciter à un changement de comportement de la part des citoyens afin d’amener à une consommation plus durable. Cela nécessite notamment que les pouvoirs publics, les publicitaires et les associations sensibilisent à la durabilité des produits et que le signal « prix » ne soit plus le seul élément mis en avant.

Certains acteurs économiques ont d’ores et déjà amorcé un changement de leur mode de production et fournissent des produits qui répondent à cet impératif de durabilité. La route est encore longue et mérite que les élus locaux, nationaux et européens travaillent de concert pour appliquer un cadre juridique qui soutienne l’évolution des pratiques économiques, accompagne la transformation des habitudes de consommation et valorise un nouvel imaginaire où la dictature des modes et du jetable deviendra tout simplement ringarde.

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